Australie, Intermèdes, Territoires du Nord
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Welcome in their Country

Parce que voyager c’est aussi rencontrer un peuple et de nouvelles cultures, parlons un peu des aborigènes.

Des aborigènes je ne savais rien. Croisés dans les rues de Cairns ou Darwin, un peu titubants, un peu perdus, l’image des aborigènes n’est pas toujours très avenante. Et pourtant, l’Australie fait de leur culture, leur art, un des facteurs clés de son tourisme, de sa fierté nationale. Mais la colonisation a été particulièrement destructrice et l’histoire de la cohabitation des aborigènes et des australiens est loin d’être claire et totalement assumée.

Une colonisation violente laissée longtemps sous silence

Il n’y a pratiquement rien d’écrit d’un point de vue personnel sur le peuple aborigène. Toute notre histoire est à propos de l’homme blanc. Personne ne sait ce que ça signifiait pour nous. Une grande part de notre histoire a été perdue, les gens étaient trop effrayés pour dire quoi que ce soit. Il y a beaucoup de notre histoire que nous ne pouvons obtenir. » Sally Morgan, My Place, 1987

Aujourd’hui on peut trouver facilement des informations sur l’histoire de la colonisation en Australie mais ce n’était pas le cas avant ces dix dernières années. Il a fallu un important travail de réécriture de l’Histoire australienne pour que la vérité sur le sort des aborigènes soit dévoilée au grand jour. Avant cela, l’Histoire se cantonnait aux récits épiques ; l’identité nationale avait été bâtie par des explorateurs et colons héroïques, ayant su conquérir et apprivoiser des terres hostiles, dompter le bush pour bâtir une civilisation. Les aborigènes étaient quant à eux perçus comme un peuple primitif, une « race inévitablement promise à l’extinction » et n’avaient aucune place possible dans cette nation à venir.
Mais dans les faits, l’Australie est découverte au XVIIème siècle par les Néerlandais puis par le navigateur James Cook en 1770, et les aborigènes sont confrontés à une première vague de colons en 1788, constituée essentiellement de détenus anglais et de soldats. Le peuple aborigène, sur le continent depuis plus de 40 000 ans, se voit alors privé de ses terres et par conséquence, de son mode de vie et de pensée (social, culturel). Décimée par les maladies, exterminée par les colons, la population diminue très rapidement, voire complètement comme en Tasmanie où les habitants dits « plus négroïdes » du fait de leur isolement subissent une « guerre noire ». Sans compter qu’à de très rares exceptions près, les auteurs de ces massacres ou sévices ne sont jamais appréhendés.

Une extermination par assimilation : les générations volées

« Elle était de sang pur, une vraie noire, donc ils n’ont pas voulu la prendre […] Ils ont dit à ma mère et aux autres qu’on serait bientôt de retour. On ne serait pas parti pour longtemps, ils ont dit. Les gens criaient « ramènes nous une chemise, ramènes nous ci, ramènes nous ça ». Ils n’ont pas réalisé qu’ils ne nous verraient plus. Je pensais qu’ils voulaient nous éduquer pour qu’on puisse aider à la station des fois. J’avais tord. […] J’ai pleuré et pleuré, appelant ma mère [ …] Je ne l’ai plus jamais revue. » Sally Morgan, My Place, 1987

Dès le début des années 1900 et jusqu’en 1970, des dizaines de milliers d’enfants métis sont enlevés à leur famille et placés dans des institutions afin d’être assimilés à la société australienne et d’effacer tout lien avec leur famille (langue, culture, territoire). L’idée était qu’au fil des générations, les enfants métis se mariant avec des blancs, le sang aborigène disparaîtrait totalement.

« A cette époque, être désirée par un homme blanc était considéré comme un privilège, mais si t’avais des enfants tu n’avais pas le droit de les garder. Tu pouvais seulement garder les noirs. Ils enlevaient les blancs car ils te pensaient incapable d’élever un enfant avec du sang blanc » Sally Morgan, My Place, 1987

Bien entendu cette politique a eu des effets dévastateurs sur les enfants, qui en grandissant étaient incapables de trouver une place dans la société. Rejetés par les blancs car aborigènes, rejetés par les aborigènes car occidentalisés (perte de la langue, de la culture).

Told us what to do and say
Told us all the white man’s ways
Then they split us up again
And gave us gifts to ease the pain
Sent us off to foster homes
As we grew up we felt alone
Cause we were acting white
Yet feeling black

Archie Roach, Took the children away, 1990

Ce n’est qu’en 1992 que ces dommages ont été reconnus, et 2008 que des excuses officielles envers ces générations volées et leur famille ont été prononcées.

Un ressenti encore fort

« Welcome in My Country », une simple phrase prononcée dans les rues de Darwin, en guise de remerciement. Pour s’être arrêté, avoir pris une seconde de son temps, échangé quelque mots. Un « MY » légèrement accentué, typique du ressenti par ici.
Tout comme l’homme aborigène qui a prononcé ces mots, beaucoup se sentent dépossédés et rappelleront à qui l’entend que l’Australie est avant tout LEUR terre.

Ils disent qu’il n’y a pas de différence entre noir et blanc, que nous sommes tous australiens, c’est un mensonge. Je te le dit, l’homme noir n’a rien; le gouvernement l’a volé pendant des années. Il y a tant de choses que les blancs ne comprennent pas. Ils veulent que nous soyons assimilés à eux mais nous ne voulons pas l’être. Ils se plaignent à propos de nos droits de terre, mais ils ne comprennent pas notre façon de vivre. […] Ces aborigènes dans le désert, ils ne veulent pas vivre comme l’homme blanc, à payer ci, à payer ça. Ils veulent juste vivre leur vie librement. Ils n’ont pas besoin des lois des blancs, ils ont les leurs. S’ils veulent de l’eau, ils invoquent la pluie en chantant et remplissent les terres qu’ils veulent. S’ils ont froid, ils peuvent apporter le beau temps rapidement […] Ils n’ont pas à chasser trop difficilement, les esprits peuvent leur apporter des oiseaux. S’ils veulent une dinde, la dinde viendra à eux et ils pourront la tuer. Le kangourou aussi. Ils ne tuent que s’ils ont faim, l’homme blanc est celui qui tue pour le sport. Aah, il y a tant de choses qu’ils ne comprennent pas » Sally Morgan, My Place, 1987

Bien que le gouvernement australien ait redonné aux aborigènes certains droits qui leur étaient dus, leur insertion dans la société australienne est encore loin d’être aboutie et les inégalités, tout comme le racisme, sont encore bien présents. Plus faible espérance de vie, fort taux de suicide, alcoolisme, obésité, analphabétisme, chômage, sont des maux parmi tant d’autres. Et beaucoup dépendent très fortement de la solidarité nationale et des allocations.

Sans parler de certains paradoxes toujours d’actualité comme la célébration de l’Australia Day le 26 janvier, date où les colons ont débarqué, date que les aborigènes appellent à raison Invasion Day ou Survival Day

Mais fort heureusement, de plus en plus de personnes, artistes, anthropologues, historiens, écrivains, se posent en défenseur des droits et de la culture aborigène. Et le tourisme, en valorisant leurs arts, permet à certains aborigènes de ne plus avoir honte de ce qu’ils sont mais d’en être fiers.

Pour aller plus loin

Un livre – My Place, Sally Morgan, 1987
Un film – Le Chemin de la Liberté, ou Rabbit-Proof Fence, Phillip Noyce, 2002
Une chanson – Took the children away, Archie Roach, 1990
Un photographe – Dan White et sa série de portraits Aboriginal People of Alice Springs

5 commentaires

  1. Avatar de dominique
    dominique dit

    oh ma belle c’est super!! (des fois j’ai un peu honte d’être blanche) et très émouvant la chanson est magnifique et j’en ai eu les larmes aux yeux bravo
    J’attends maintenant tes ressentis lorsque tu les auras rencontré bisous et bon voyage

  2. Avatar de Cornélia
    Cornélia dit

    Et oui, l’Australie ce n’est pas que les surfeurs, les kangourous et les koalas ! Même si c’est un pays cher à mon coeur, un article comme le tien permet une piqure de rappel sur un côté un peu plus sombre de l’Australie. Il ne faut en effet pas oublier !

  3. Pingback: En Terre aborigène, Kakadu Parc | Princesse Bouillebouille

  4. Avatar de Shunn

    A reblogué ceci sur Let's feel infiniteet a ajouté:
    De retour d’un road trip génial de deux semaines en Tasmanie, j’espère avoir bientôt le temps d’écrire de nouveau sur le blog.

    En attendant je vous partage le dernier article de Maud, qui voyage avec moi, pour que vous en sachiez un peu plus sur les aborigènes d’Australie.

    Bonne journée à tous!

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