Ne nous mentons pas.
En me levant en plein milieu de la nuit pour admirer le lever de soleil sur Borobudur, voila ce que j’avais en tête : être seule (ou presque) au milieu du site, avec une lumière magnifique, le soleil se levant doucement et éclairant progressivement les 504 statues de Bouddhas et les 72 stupas de Borobudur. Un peu comme ça en fait :
Ha ha, quelle naïveté…
Levée à quatre heure du matin, au sommet d’une colline (l’endroit où être selon tous les guides et agences), à attendre que le soleil se lève sur Borobudur, je fixais l’horizon non sans impatience. La brume épaisse qui enveloppait la forêt alentour et cachait les montagnes teintait le site d’un certain mystère, que les gens de plus en plus nombreux autour de moi n’altéraient pas. Mes pensées étaient tournées sur ce que j’avais lu la veille sur le site ; plus grand et ancien temple bouddhique du monde construit entre le VIIIème et le IXème siècle de notre ère. Je repensais à sa construction, sa symbolique, à son abandon un peu plus d’un siècle plus tard, sa découverte puis enfin sa restauration qui fut l’une des plus importantes campagnes de sauvegarde de l’UNESCO.
Perdue dans mes pensées, je n’ai même pas vu l’heure défiler et les gens s’impatienter. Car oui cette brume épaisse ne s’est finalement jamais levée, et le soleil et bien on ne l’a pas vu. Nous redescendîmes donc la colline et avons été conduites au site sous un ciel… blanc. Pas de jolie lumière, pas de timide rayon de soleil chauffant peu à peu les innombrables pierres de l’édifice et ses reliefs. Rien qu’une foule compacte et oppressante s’amassant sur nos photographies tels des papillons de nuit autour d’un point lumineux.
Alors, pour ne pas passer à côté d’un si beau monument, je me mis à la place du pèlerin venant chercher l’Illumination et « oubliant » les gens autour de moi je me concentrai sur le monument lui-même et sur sa découverte, faisant marcher mon imagination…
Je suis un pèlerin, au IXème siècle. J’ai quitté ma petite ville il y a trois jours de cela pour me rendre à Yogyakarta, une ville où le faste et la splendeur n’ont pas leur pareil. C’est la deuxième fois que je me rends dans cette ville mais cette fois je suis venu seul chercher la paix et la sérénité qui me manque dans mon petit village de pêcheur. Je m’apprête à voir la fierté de mes princes Sailendra, dynastie à l’origine hindouiste mais convertie depuis longtemps au bouddhisme. Sur ma route je croise de nombreux pèlerins qui comme moi se rendent à Borobudur, véritable colline de pierre. A 40km de Yogyakarta, je la vois enfin, se mêlant harmonieusement au paysage alentour, du haut de ses 35 mètres.
La plaine de Kédu est presque entièrement délimitée par les hautes montagnes et les volcans. En m’approchant, un homme m’interpelle et me dit fièrement que sa famille a participé à la construction de cette « merveille », comme il l’appelle, avec 600 autres personnes, il ne sait plus trop. Mais il rajoute que c’était un chantier titanesque. Une fois au pied de la colline de pierre je m’aperçois que sa base est recouverte de bas-reliefs, 160 selon mon nouvel ami, et représente Kamadhatu, les désirs et les plaisirs du monde. Je suis un peu embarrassé par la véracité des sculptures très évocatrices qui défilent devant moi. Tournant autour de l’édifice dans le sens des aiguilles d’une montre, mon parcours me ramène au point de départ et à l’escalier central, chemin vers l’Illumination.
Je me hisse alors au deuxième niveau, Rupadhatu, la sphère du formel, constitué de quatre galeries rectangulaires. De part et d’autre des murs sont sculptés des centaines de panneaux dont les scènes sont tirées des textes anciens. Il s’agit là d’un véritable exercice spirituel, comme le chemin de croix pour les chrétiens ou le parcours de la Kaaba pour les musulmans. Je suis alors la voie tracée par le Bodhisattva, celui qui a renoncé aux passions terrestres pour parvenir à l’Illumination, longeant les innombrables sculptures qui soutiennent mon élévation. La sphère où je suis actuellement relate certains épisodes de la vie de Gautama, le Bouddha historique « éveillé », je me remémore alors au fur et à mesure de mon parcours sa naissance, l’établissement des principes de son enseignement, ses incarnations antérieures puis celles des Bodhisattva, et l’infatigable errance de Sudhana en quête de la Sagesse parfaite.
Je parviens ainsi à la troisième étape, l’architecture se faisant alors circulaire. Les trois terrasses comptent chacune leurs stupas ajourés et contienne un Bouddha. Je me trouve dans la sphère de l’informel, Arupadhatu. Les murs n’ont plus aucune ornementation et seuls s’offrent à la contemplation la pierre, le ciel, et le stupa central, scellé et vide, qui symbolise le Nirvana, but ultime de tout bouddhiste, mon but ultime.
Les groupes de personne, classes scolaires essentiellement, se massant autour de moi me tirent de mes songeries. Dur retour à la réalité et fin de cette schizophrénie littéraire (oui en réalité j’ai gravi le monument comme une valise prenant quelques photos de ci de là, et m’agaçant contre la foule trop hardie.) Pour trouver la maîtrise de soi il faudra donc revenir, mais la méditation n’est pas une de mes compétences alors soit, je tente un temps d’esquiver les opportuns et lasse, finis pas les photographier comme une partie intégrante du monument.
La première sphère du temple n’est plus visible depuis longtemps. Certains avancent des raisons « pudiques », les scènes du désir et du plaisir étant trop évocatrices, et d’autres penchent pour des raisons architecturales, les fortifications du monument ayant vite montré des signes de faiblesse. C’est donc de la deuxième sphère que nous débutons notre ascension.
Mais ce qui est aujourd’hui le principal attrait touristique de Java a bien failli ne pas parvenir jusqu’à nous. Borobudur a subi de nombreux dégâts. Tombé dans l’oubli environ 150 ans après sa construction, il affronta tremblements de terre et affaissements de terrain, puis fut envahi par la jungle et enterré sous les cendres. Il sorti de l’oubli grâce à Sir Thomas Stamford Raffles, haut fonctionnaire britannique, qui en 1814 ordonna de défricher les lieux. Plusieurs petites restaurations furent faites mais c’est le hollandais Theodor Van Erp, avec l’accord du gouvernement, qui entrepris les premiers vrais travaux de restauration sauvant les terrasses circulaires et les stupas, et parvenant à attirer l’attention de l’opinion publique.
Néanmoins certaines mesures de nettoyage et de préservation furent plus néfastes que bénéfiques. Alors, quand après la seconde guerre mondiale des études furent menées le constat était assez alarmant : fondations quasi inexistantes, blocs de pierre fragilisés par l’absence de mortier, édifice glissant, reliefs attaqués par la pluie.
Consciente de l’importance de Borobudur, l’Indonésie lança un appel à l’UNESCO pour l’aider à préserver le site en 1955. Un important programme de recherche fut mené. L’organisation mondiale finança la restauration et fournit un appui technique au gouvernement. En 1973 commença officiellement la campagne de sauvegarde de Borobudur, premier projet pour lequel on eu recours aux techniques modernes de conservation (photographies aériennes, usage de l’ordinateur pour la planification des travaux, relevés photométriques du monument avant de le démonter pierre par pierre). Ainsi le temple retrouva sa splendeur après 10 ans de travaux. Plus d’un million de blocs de pierre furent déplacés, nettoyés puis numérotés et répertoriés, plus de 600 personnes furent engagées, plus de 20 millions de dollars furent mobilisés, et 27 pays participèrent. L’Indonésie a fourni près des deux tiers du coût total de l’opération.
Cette campagne de sauvegarde est capitale pour plusieurs raisons. Outre qu’elle ait permis de préserver un monument d’une grande importance architecturale et spirituelle, elle a, avec les campagnes d’Abou Simbel ou Venise, fait connaître l’UNESCO et introduit l’idée que la protection du patrimoine et sa transmission aux générations futures relevaient de la communauté internationale.
La préservation de Borobudur est un bon exemple de ce que les hommes sont capables d’accomplir lorsqu’ils travaillent ensemble.


Bravo ma belle, très intéressant comme les autres reportages. J’ai hâte d’être au mois d’août pour en lire un autre
entre temps j’aimerai savoir ce que tu deviens? quel est ton itinéraire et ce que tu fais
mes pépètes sont chez mamie Zabeth je ne les revoies que dans trois semaines
bisous à toi et Jacinthe
Merci. On est actuellement chez une famille pour trois semaines, jusqu’au 9 août. On descend ensuite à Brisbane pour essayer de trouver un petit boulot et remettre un peu d’argent de côté pour la suite 🙂
ok vu l’heure je te souhaite une bonne nuit bisous